Main de l'Homme, Souffrance de l'Animal : Voyage au Cœur d’une Nuit de Sang
Dans le petit village de San Antonino Castillo Velazco, au cœur de l’État de Oaxaca, l’abattage d’une vache se fait à la main, dans des conditions où nécessité et contraintes économiques dictent les gestes. Chaque nuit où une bête est abattue, une scène intense se joue sous une simple ampoule néon, mêlant efficacité rudimentaire et une souffrance animale difficilement soutenable.
Alejandro Martinez Gonzalez / AMPhotos
Une nuit de travail éprouvante
La nuit est glaciale et silencieuse. À 2h du matin, l’équipe, composée de 7 à 10 personnes, commence son travail dans une atmosphère marquée par une étrange tension. Sous une faible lumière de néon suspendue au-dessus d’une table en bois, chaque geste compte. Les hommes, vêtus de vestes épaisses pour se protéger du froid, nettoient avec soin la table où la viande sera découpée. À proximité, les couteaux sont alignés et affûtés avec précision, le bruit métallique de l’aiguisage résonnant dans l’air figé. Les cordes, indispensables pour maîtriser l’animal, sont soigneusement vérifiées et fixées aux poteaux qui serviront à immobiliser la bête.
Dans un enclos adjacent, une vache attend, invisible dans l’obscurité, mais son souffle lourd et ses mouvements trahissent sa présence. Lorsqu’elle est amenée à l’abri, l’atmosphère change. Tirée à contrecœur par une corde nouée autour de son cou, elle résiste de toutes ses forces. Chaque pas semble plus difficile que le précédent, comme si l’animal comprenait instinctivement que son sort est scellé.
Sous le toit sommaire, éclairé par la lumière crue de l’ampoule, la vache est poussée et tirée jusqu’à ce qu’elle soit placée au centre. Là, commence une lutte acharnée : plusieurs hommes s’efforcent de passer une corde autour de son cou et de ses sabots. L’animal, pris de panique, se débat violemment, ses sabots frappant le sol dans une tentative désespérée de s’échapper.
Après plusieurs minutes de tension, les hommes parviennent enfin à la maîtriser. Les cordes sont solidement attachées, tirées avec force pour la faire basculer au sol. Une fois allongée, elle est immobilisée dans une position où elle ne peut plus bouger. Ses mouvements de résistance se transforment en spasmes nerveux, son souffle devenant de plus en plus saccadé.
C’est alors qu’un homme s’approche avec un couteau bien aiguisé. En une fraction de seconde, l’arme tranche l’artère principale de la gorge. Le sang jaillit en un jet puissant, éclaboussant le sol froid et les bassines en métal prévues pour le recueillir. Pendant trois à quatre minutes, la vache tremble violemment, son corps parcouru de convulsions alors qu’elle agonise. Le choc thermique entre le sang chaud et l’air froid de la nuit produit une vapeur fine qui s’élève lentement, comme un dernier soupir.
Lorsque le silence retombe enfin, l’équipe s’active immédiatement pour retirer la peau, ouvrir la carcasse et préparer les morceaux de viande. Les organes, les os et la graisse sont triés méticuleusement, car rien ne doit être gaspillé. La cadence est intense, chaque homme accomplissant sa tâche avec une efficacité presque mécanique pour s’assurer que tout sera prêt avant l’aube.
Dans cette scène où le travail manuel est la seule option, chaque geste, chaque son et chaque détail semble porter le poids d’une nécessité implacable. Mais dans cette efficacité froide, la souffrance animale reste omniprésente, une réalité brute et difficile à ignorer.












































L’impossible modernisation
À San Antonino Castillo Velazco, les moyens financiers sont limités. Acheter un dispositif moderne pour étourdir les bêtes, comme un pistolet à tige perforante ou un système électrique, est tout simplement irréalisable. Ces outils coûtent plusieurs milliers d’euros, demandent une formation spécifique et nécessitent un entretien régulier.
Les éleveurs de ce village travaillent avec ce qu’ils ont. Mais il existe des solutions, même modestes, pour réduire la souffrance des animaux. Une coupe encore plus rapide et précise avec un couteau affûté ou l’utilisation d’une méthode artisanale d’étourdissement pourrait, dans une certaine mesure, diminuer l’agonie des bêtes. Cependant, ces alternatives demandent des efforts en termes de formation et d’accessibilité, encore hors de portée pour cette communauté.
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Réduction écologique malgré tout
Malgré la brutalité de cette méthode, elle offre un avantage indéniable : son faible impact écologique. Contrairement à l’abattage industriel, où des millions de bêtes sont tuées chaque année pour satisfaire une demande toujours croissante, ici, chaque vache est abattue uniquement lorsque cela est nécessaire.
Les chiffres sont parlants :
Émissions de CO₂ : L’élevage industriel représente environ 14,5 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Chaque kilogramme de viande bovine produit émet en moyenne 27 kg de CO₂, en grande partie à cause des cultures intensives destinées à nourrir les animaux.
Consommation d’eau : Produire un kilogramme de viande bovine nécessite 15 000 litres d’eau en moyenne, principalement pour cultiver l’alimentation des bêtes.
À San Antonino Castillo Velazco, l’élevage local et l’abattage limité à la demande réduisent considérablement ces chiffres. Ce mode de vie impose une utilisation parcimonieuse des ressources, évitant ainsi le gaspillage massif souvent observé dans les systèmes industriels.
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Une réalité à confronter
Si cette méthode artisanale d’abattage réduit les impacts écologiques, elle soulève des questions éthiques fondamentales. L’absence totale d’étourdissement impose une souffrance inutile à l’animal.
Les scènes poignantes, mêlant rudesse et efficacité, capture cette réalité avec une acuité brutale et invitent à une réflexion profonde : peut-on concilier des pratiques accessibles avec une plus grande compassion envers les êtres vivants ?
Dans ce village, comme dans tant d’autres à travers le monde, les contraintes économiques et l’absence d’infrastructures modernes laissent peu de choix. Mais cette réalité n’est pas immuable. Elle pose un défi universel : comment trouver un équilibre entre durabilité, efficacité et bien-être animal dans un monde où chaque choix a des conséquences lourdes, que ce soit pour les humains, les animaux ou la planète ?
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